Vacarme 37 / cahier

mouvements aux frontières

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Depuis 2003-2004, l’Union européenne, dans le cadre de l’« externalisation » de sa politique d’immigration et d’asile, fait pression sur le Maroc pour que ce pays joue le rôle de garde-frontières en empêchant migrants et exilés qui jusqu’alors transitaient par son territoire de poursuivre leur route vers l’Europe. Les conséquences de ce déplacement du contrôle sont lourdes. Les événements de l’automne 2005, qui ont vu plusieurs Africains tomber sous les balles de l’armée marocaine alors qu’ils tentaient de franchir la frontière hispano-marocaine à Ceuta et Melilla en sont la manifestation la plus dramatique [1]. Le sort des demandeurs d’asile et des réfugiés aujourd’hui contraints de demeurer au Maroc témoigne d’une autre façon de l’absurdité d’un système imposé par l’Union européenne avec la collaboration du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Au nom d’un illusoire « partage des responsabilités », l’accueil et à la prise en charge des demandeurs et réfugiés est confié à un pays qui ne dispose ni des infrastructures, ni du dispositif juridique nécessaires. Harcelés et soumis à des conditions de vie extrêmement précaires, puisqu’ils n’ont pas la possibilité de travailler et ne bénéficient d’aucune assistance financière ou sociale, les demandeurs d’asile ne voient guère leur situation s’améliorer lorsqu’ils sont reconnus réfugiés au terme de la procédure instruite par le HCR. Aussi, au cours du mois de juillet 2006, une centaine d’entre eux ont organisé un sit-in de protestation devant les locaux de la délégation du HCR à Rabat pour essayer de faire entendre leurs revendications.

Chronique de cette mobilisation, première du genre au Maroc, tenue par courrier électronique par un de ses acteurs, Fiston Massamba, et envoyée au fil des jours aux militants français. Demandeur d’asile au début de la mobilisation, il se vit reconnaître le statut de réfugié par le HCR deux semaines plus tard, ce qui ne lui fit rien perdre de sa lucidité.

Document recueilli par Claire Rodier

24 juillet

Nous venons de faire un sit-in devant le HCR Rabat et l’on doit en principe occuper la cathédrale St-Pierre de Rabat.

25 juillet

La police nous a fait quitter l’église hier soir et nous nous retrouvons maintenant devant le bureau du HCR. Nous avons passé la nuit et nous sommes toujours là comptant y dormir encore dans des conditions indignes mais que voulez¬vous ? Nous (réfugiés et demandeurs d’asile du Maroc) ne quitterons pas ce lieu sans avoir obtenu gain de cause.

27 juillet

Le HCR a fermé ses portes à dater du 26 juillet jusqu’à nouvel ordre, ils ont écrit un message signifiant cela. Malgré cela il a ouvert en parallèle son bureau annexe en vue de recevoir d’autres demandeurs d’asile ou réfugiés, ceux qui ne manifestent pas. On se demande si ce n’est pas une stratégie de sa part pour fragiliser la mobilisation ! Le Conseil des Migrants au Maroc dénonce avec la dernière énergie de telles pratiques qui montrent comment l’on joue avec la vie des gens. Du moins les demandeurs d’asile et les réfugiés sont déterminés à ne pas lâcher jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause. Nous demandons que l’on remonte au plus vite cette situation au niveau des instances supérieures pour que finalement les réfugiés et demandeurs d’asile au Maroc bénéficient au plus vite d’une solution durable.

27 juillet, 17h52

La police vient de nous signifier de quitter le lieu dans les deux heures, après elle usera de la force. Nous avons besoin de soutien.

[Les représentants des différentes communautés nationales discutent de l’opportunité de lever le sit-in. Le pasteur de l’église évangélique de Rabat vient sur les lieux, et propose d’accueillir les manifestants dans sa paroisse pour y discuter avec le HCR. La majorité des manifestants accepte cette proposition, le sit-in est levé à 20h.]

28 juillet

Une négociation a eu lieu hier avec le HCR Rabat dans l’enceinte de l’église évangélique, qui œuvre grandement dans l’aide aux migrants subsahariens vivant au Maroc. Les manifestants sont arrivés à l’église vers 21h. Trente minutes plus tard sont arrivés le responsable du HCR Rabat et le responsable de la sécurité des Nations unies au Maroc. Les négociations ont commencé avec onze délégués représentant les différentes communautés nationales. La réunion débute par un petit exposé du responsable du HCR sur les contours du problème et une présentation du responsable de la sécurité des Nations unies, avant que le Pasteur David Brown ne prenne la relève.

Les délégués présents sont à leur tour intervenus :

F. a exprimé son inquiétude de voir que les droits des réfugiés au Maroc ne sont pas respectés et indiqué la nécessité que le HCR Rabat s’implique davantage à ce sujet. Il a également demandé au responsable du HCR de lui dire quels sont les droits des réfugiés et demandeurs d’asile, afin de démontrer que ces derniers ne sont pas respectés au Maroc.

A. demande au responsable du HCR que l’on réinstalle [2] au plus vite les réfugiés et que l’on trouve une solution durable pour les demandeurs d’asile et réfugiés vivant au Maroc.

E. a démontré noir sur blanc que l’environnement dans lequel vivent les réfugiés au Maroc ne leur permet pas de s’en sortir, d’où le grand besoin que les réfugiés soient réinstallés dans un autre pays.

D. pour sa part a interpellé le responsable du HCR pour qu’il honore ses engagements et fasse tout pour être vrai dans toutes ses pistes de sortie de crise.

A.B. a précisé que tous ceux qui sont dans la cour de l’église sont très vulnérables et ont besoin d’une assistance le plus vite possible.

F. a relevé une flexibilité dans l’approche des critères de vulnérabilité énoncés par le Responsable du HCR. Il constate que celui ci est arrivé à conclure que les réfugiés et les demandeurs d’asile (réfugiés potentiels) vivant au Maroc sont plus que jamais vulnérables.

A. M. a insisté sur le fait que la réinstallation s’impose pour les réfugiés de Maroc.

Le responsable du HCR a fait part aux manifestants de son souci qu’ils bénéficient d’une assistance accrue, d’un meilleur accès aux soins médicaux et aux services publics, de la mise en place de micro projets, de l’attribution de dons et des micro-crédits pour les réfugiés, et de procédures de réinstallation pour juste une minorité d’entre eux.

Je vais maintenant à mon niveau dire ce que je pense de tout ce qui s’est fait, et aussi dire l’issue de cette négociation.

Dans la discussion, il est arrivé que les demandeurs d’asile et les réfugiés dans la salle aient certaines frictions entre eux, ceci, je pense que cela a été le jeu du responsable du HCR, qui mettait trop d’importance ou privilégiait les réfugiés auxquels le HCR avait accordé le statut, les « statutaires ». Même si les demandeurs d’asile ne peuvent prétendre aux mêmes droits, c’est une situation de crise que traverse le Maroc, il y a par conséquent lieu de traiter les problèmes de manière exceptionnelle avec des mesures exceptionnelles.

Il y a eu une cassure à propos du sort spécifique à réserver à ceux qui se trouvaient dans l’enceinte de l’église évangélique. Le responsable du HCR estimait que ceux qui ont pris part aux manifs sont pour la plupart vulnérables et qu’il fallait faire quelque chose pour eux, entre autres le logement et l’assistance alimentaire pour un mois, et voir dans un futur proche comment faire pour eux davantage.

Il faut dire que ceux qui attendaient dans la cour de l’église étaient désormais au nombre de 215 personnes (contre environ 100 manifestants qui ont pris part au sit-in). En fait, en venant du HCR vers l’église évangélique, beaucoup des manifestants avaient fait appel à leurs frères qui étaient à la cité en leur disant qu’il y avait de fortes chances que l’on trouve des solutions pour eux, ce qui a provoqué une arrivée massive des amis dans l’église. Le responsable du HCR, voyant cela, a changé de cap en expliquant qu’il n’était pas question d’aider tous ces gens, en raison de son budget limité. Il a donc demandé au comité de suivi d’établir une liste à partir de laquelle il prendra les mesures pour aider les réfugiés vulnérables d’abord, et verra ensuite avec les partenaires comment faire pour les demandeurs d’asile.

Or pendant les trois jours du sit-in on avait pris soin d’établir une liste des gens qui y ont participé. Mais l’un des membres du comité de suivi qui détenait cette liste n’a pas voulu la fournir au HCR, et a demandé que soit utilisée la liste de 215personnes présentes à l’église. Chose que pour ma part je n’ai pas trouvée honnête. D’autant qu’au même moment d’autres personnes venaient encore rejoindre les frères à l’église. Le pasteur a proposé que les délégués clarifient qui était présent lors du sit-in et qui ne l’était pas. Il a aussi dit qu’il fallait trouver dans l’immédiat une solution pour ceux qui ont enduré d’énormes sacrifices devant le bureau du HCR, mais que l’on ferait tout pour donner quelque chose à tous ceux qui étaient venus ensuite rejoindre les manifestants.

Cette situation a plus que déchiré le comité de suivi, et ce devant le responsable du HCR, ce qui est lamentable malheureusement ! Le comité de suivi a été invité à établir la liste (des 215) et à la donner au HCR. Celui-ci a estimé qu’il pourrait commencer à faire une assistance à partir du lundi avec une capacité d’accueil de 15 personnes par jour, chose qui n’a pas du tout plu à l’ensemble du comité de suivi. Le responsable de la sécurité des Nations unies a pour sa part fait savoir qu’il allait également veiller à ce que l’on assiste les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Bref la séance, qui s’était plutôt bien déroulée, ne s’est pas bien terminée avec des déchirements au niveau de comité de suivi.

Je me dis que l’on nous a eus !

Que dire de plus ?

Pour moi la négociation a été un échec, voyons voir dans les jours qui suivent.

Quelque part c’est comme si il n’était pas propice de faire ces négociations en ce lieu, mais bon. Du coup tout le monde est rentré chez lui sans un résultat clair si ce n’est juste des promesses qu’on a toujours entendues... Je ne sais pas si cette fois c’est la bonne.

29 juillet

J’ai pu rencontrer les amis et nous sommes convenus de nous concerter en vue d’établir une liste à remettre au HCR ce lundi matin et ce, en nous basant sur la liste de tous les manifestants ayant passé la nuit à la belle étoile du 24 juillet au 26 juillet 2006. J’ose croire que cela pourra nous convenir à nous tous. Déjà hier je suis entré en contact avec le responsable du HCR pour lui signifier que nous pensons que la liste sur laquelle l’on doit nous référer est celle des manifestants. Il est d’accord et attend que cette liste ce lundi matin au HCR. Je ferai de mon mieux de vous mettre au parfum de l’évolution de la situation.

1er août

Après les négociations de lundi, voilà que l’assistance aux réfugiés statutaires bat son plein... En fait le HCR donne aux hommes seuls la somme de 300 Dirhams (environ 30 euros) pour parer aux éventualités de tout un mois et aux familles 600 dirhams (environ 60 euros)... Si bien que le mois qui va suivre, il n’y aura plus rien... Donc nous ne sommes pas toujours sortis de l’auberge... Déjà la somme ne vaut rien du tout et en plus le mois prochain, c’est plus qu’illusoire de l’avoir... Le problème est toujours là entier, ce que le HCR fait n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan...

Personnellement, je me félicite car notre combat a permis que l’on assiste un tant soit peu les réfugiés statutaires même si cela s’avère très minime... Quelque chose que je trouve de positif aussi est que le HCR, vu tous les problèmes qu’on lui pose, commence à élargir son staff. Pourvu que ce soit pour la bonne cause...

Le problème réside dans les dernières promesses du responsable du HCR à propos du commencement du processus de réinstallation : car il nous a dit qu’il allait se consacrer le plus vite possible au traitement des dossiers des demandeurs d’asile qui se retrouvent dans la liste qu’on lui avait donnée, et envisager seulement ensuite comment mettre en place le processus, au vu de l’effectif de réfugiés qu’il aura alors.

En tous cas rien n’est gagné, d’ailleurs beaucoup de demandeurs d’asile viennent auprès de moi pour se renseigner, ils me demandent ce que l’on doit faire, s’il faut réfléchir à d’autres pistes de sortie ; et même des réfugiés statutaires se sentent un peu cuits et me demandent aussi des pistes à explorer. Bref, tout est à faire et à refaire. Voilà, tout un combat.

13 août

La reconnaissance [récente de ma qualité de réfugié] ne m’a pas vraiment comblé. On se retrouve dans une situation qui n’a pas changé, surtout que ces temps-ci les demandeurs d’asile et les réfugiés vivent une course-poursuite avec la police marocaine qui arrête les réfugiés comme bon lui semble... Comment dans une telle situation pourrais-je me réjouir de cette reconnaissance ? [...] Que dire des réfugiés et des demandeurs qui meurent suite à un traitement quasi inexistant de la part des médecins marocains, tout simplement parce qu’ils sont des noirs ? Que dire quand l’assistance des demandeurs et des réfugiés mise en place par le HCR s’interrompt, comme on le prévoyait, et que nous voilà revenus à la case du départ ?

Comment se réjouir quand on sait que les migrants sans papiers [qui sont arrêtés et envoyés à Oujda, à la frontière algérienne] sont pratiquement abandonnés, et bloqués là dans des situations d’infortune ?

Je manque de solutions miracles, et vous aussi d’ailleurs, mais une réflexion sur ces problèmes a sa raison d’être. Car nous allons droit vers l’irréparable. n

Notes

[2La « réinstallation » des réfugiés est une procédure qui consiste à transférer dans un pays d’accueil définitif les réfugiés reconnus par le HCR depuis des pays de « premier accueil » où, pour des raisons tenant généralement aux capacités d’accueil insuffisantes, leur maintien est difficile. Les possibilités de réinstallation, négociées par le HCR avec les gouvernements, sont rares, et priorité est donnée aux personnes considérées comme « vulnérables ».