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aborigènes : France 2 dérape

Nous souhaitons vivement réagir au reportage intitulé « Aborigènes, la fin des rêves » diffusé sur France 2 dans l’émission Envoyé Spécial du 13 mars 2008.

Nous sommes une équipe de chercheurs, cinéastes et activistes qui travaillons en Australie avec différents groupes aborigènes depuis de nombreuses années. Nous avons été très choqués par le contenu de votre émission.

Tout d’abord, le reportage contient des informations erronées, obsolètes, incomplètes, en proportion telle qu’il serait fastidieux de les lister ici. Par ailleurs, le traitement de l’image vise, à travers tous les moyens disponibles (prise de vue et de son, cadrages, focales,
montage, voix offŠ) à construire une vision dramatisée des lieux et des personnages qui ne correspond pas à la réalité. Ce genre d’imagerie choc répond certainement à des nécessités liées à l’audimat, et il est navrant de constater que ces nécessités priment sur l’information y compris lorsqu’il s’agit de traiter un thème éminemment humain et idéologique.

Par ailleurs, bien que révélant certaines des injustices et discriminations subies par les Aborigènes du Territoire du Nord, le film ne reflète en rien l’incroyable résilience et créativité avec lesquelles ces populations ont historiquement fait face aux défis sociaux, économiques, politiques et culturels posés par la succession de politiques interventionnistes du gouvernement australien depuis le XIXe siècle. Ces peuples se battent sans relâche pour maintenir leur culture et pour intégrer les changements imposés de l’extérieur : le développement du mouvement artistique contemporain en est un exemple époustouflant.

Parmi les personnes que vous avez interviewé, plusieurs sont connues en Australie pour leurs actes douteux. Il y a de nombreux Aborigènes — intellectuels, activistes, politiques, professeurs, artistes – qui travaillent au quotidien pour mieux faire comprendre la situation historique et contemporaine de l’Australie aborigène. L’action de ces personnalités est relayée par de nombreuses structures universitaires, associatives et politiques. Il nous semble terriblement nocif à leurs combats de tous les jours de présenter les Aborigènes comme une « race en voie d’extinction », un discours qui n’est pas sans rappeler l’idéologie raciste caractéristique des politiques gouvernementales d’assimilation mises en ¦uvre le siècle dernier et pourtant dénoncées dans le reportage. Les propos tenus par le journaliste sur le plateau de l’émission ne voyant de survie possible des Aborigènes que dans l’assimilation à la population dominante étaient particulièrement scandaleux à cet égard.

Ce reportage, notamment par son introduction et sa conclusion, n’est qu’une succession de préjugés étayés par des faits détournés de leur contexte initial très complexe et véhicule une conception simpliste et condescendante de la situation aborigène contemporaine. En tant que membres d’institutions publiques ou personnes indépendantes, nous sommes prêts à offrir du temps et des compétences à France 2 pour démontrer comment ce projet ambitieux aurait pu aboutir à un reportage plus équilibré.

Les co-auteurs du livre Le défi indigène (Jessica De Largy Healy, Stéphane Lacam, Géraldine Le Roux, Arnaud Morvan, Martin Préaud, dirigé par Barbara Glowczewski, directrice de recherche au CNRS), et d’autres témoins actifs des communautés évoquées dans le reportage(Maia Ponsonnet, Pierre Brochet, Lise Garond, Valérie Mégard, Vanessa Castejon, Estelle Castro, Dominique Masson, Claire Merleau-Ponty).

Contact b.glowczewski@college-de-france.fr
http://las.ehess.fr/document.php?id=143

Post-scriptum

Voir le dossier, « Autochtones, des peuples en mouvement », Vacarme n°39, printemps 2007. On y trouvera notamment une table ronde sur l’art aborigène avec Barbara Glowczewski, Géraldine Le Roux, Arnaud Morvan et Martin Préaud : « danser sur une carte »