rencontre du troisième collectif

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Ce fut l’un des ricochets les plus inattendus de Saint-Bernard : la mobilisation des sans-papiers chinois, d’habitude invisibles, et leur regroupement au sein d’un collectif. Zoom sur un mouvement exemplaire, et sur la vie après les lois Pasqua.

L’information a circulé de bouche surprise à oreille stupéfaite : « il y a même des Chinois ! » Ceux, militants associatifs ou simples citoyens, qui manifestaient cet été leur soutien aux sans-papiers de Saint-Bernard, y ont tous vu un signe. Que des membres de la communauté chinoise se mêlent aux cortèges, qu’ils descendent à leur tour dans la rue pour exiger leur régularisation, voilà qui témoignait à la fois de l’ampleur du mouvement et de la gravité de la situation. On ne pourrait plus, désormais, opposer à ces Africains si exigeants la discrétion des Asiatiques durs au labeur : ils remon¬taient, côte à côte, les rues de la Goutte d’Or.

Pour comprendre ce qui a rendu possible cette jonction inattendue, il faut remonter au 18 mars 1996, date de l’occupation de l’église Saint-Ambroise. D’emblée, cette action est confrontée à un dilemme. Exiger la seule régularisation des 300 Maliens qui ont décidé et mené l’opération, ou élargir le mouvement en s’attaquant à la racine du problème, c’est-à-dire aux lois Pasqua et à leurs conséquences ? C’est la particularité de ce mouvement d’être à la fois universel et singulier, universel parce que singulier. Parce qu’il part directement des intéressés, jusqu’à prendre de court les associations classiques, telles SOS Racisme ou le GISTI, il posséde une force qui l’entraîne très vite au-delà de lui-même, au risque de se perdre. Dès les premiers jours de l’occupation, ce sont trois à quatre mille sans-papiers qui se présentent, à l’église, et demandent eux aussi à faire partie du collectif. L’accueil qui leur est réservé est alors plutôt tiède : les associations estiment la situation ingérable. Quant aux initiateurs de l’action, ils sont divisés. Si certains, autour de Madigane Cissé, plaident pour une extension du mouvement, et revendiquent la régularisation globale de tous les sans-papiers, d’autres souhaitent que l’on examine, avant tout, leurs cas individuels.

Un, deux, trois collectifs

Ces divergences de vue vont susciter une démultiplication des initiatives. Un second collectif se crée à Colombes, qui vise, sans renoncer à faire jouer les leviers locaux, à mettre en place une coordination nationale, regroupant la vingtaine de collectifs créés depuis le premier juillet. Au quarantième jour de grève de la faim, le débat est vif autour de Saint-Bernard. L’ouverture aux autres collectifs sera finalement rejetée, mais un appel au recensement de sans-papiers est lancé. Les demandes affluent. Parmi elles, celles des sans-papiers chinois créent la surprise, et susciteront finalement la création d’un troisième collectif, qui se veut ouvert à toutes les nationalités (une
trentaine, au total), et à tous les dossiers.

La situation des Chinois résume, à elle seule, les contradictions qui grèvent aujourd’hui l’attitude française en matière d’immigration et de droit d’asile. Originaires de la région de Wanjo, dans le sud de la Chine, les raisons de leur départ sont inextricablement politiques et économiques : pauvreté, privation de liberté, et la règle de l’enfant unique ressentie là-bas comme intolérable. Avant les lois Pasqua, une sorte de contrat tacite semblait avoir cours avec la France. Les aspirants au départ entraient par des filières familiales ou communautaires. Après avoir remboursé leurs passeurs pendant quatre ou cinq ans, au prix d’un travail proche de l’esclavage (quinze heures d’atelier par jour, pour un salaire d’environ 2 000 F), ils voyaient leur situation régularisée et s’installaient en province. Tout a changé aujourd’hui. Si les filières sont encore actives, elles n’ouvrent plus sur aucune régularisation. Les arrivants, souvent déboutés du droit d’asile, sont du coup pris dans une double impasse. Privés de droits et traqués comme les autres étrangers en situation irrégulière, ils ne peuvent espérer échapper à l’exploitation qui sévit au sein de la communauté. Signe que la législation actuelle ne s’attaque pas, tant s’en faut, au problème du travail clandestin : dans ce cas précis, elle le renforce et le pérennise.

Difficiles échos

L’action du troisième collectif est, pour l’instant, à la fois têtue et limitée. L’occupation, en septembre dernier, du centre d’accueil des réfugiés à Aubervilliers, et la rédaction d’un mémorandum n’ont débouché que sur de maigres résultats. En fait, l’espoir de prendre le relais de Saint-Bernard, de relancer et d’amplifier le mouvement, se heurte à la difficulté de trouver des relais politiques. Il se heurte également aux divisions que suscitent les promesses d’examen des dossiers au cas par cas. La loi Debré s’inscrit bien dans cette ligne. Elle prétend résoudre les solutions les plus évidemment inextricables, mais durcir encore l’arsenal législatif et administratif existant, en multipliant, par exemple, les conditions d’attribution du certificat d’hébergement. Pour le troisième collectif, les problèmes que pose ce dispositif ne sont pas seulement d’ordre éthique. Ils renvoient, d’un côté, à une démarche de précarisation générale du travail, en constituant une main-d’œuvre privée de droits sociaux, et révocable à tout moment. Ils invitent, de l’autre côté, à repenser la position de l’Europe dans le cadre général des rapports Nord-Sud. Il faut bien constater que la force politique capable de porter une telle réflexion reste encore à construire.